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Studia daviliana
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27 janvier 2010

Caraco & Davila

CARACO ET DAVILA : ELEMENTS DE COMPARAISON par Philippe Billé

     Les rares commentateurs de Gómez Dávila l’ont déjà comparé à nombre de penseurs, aphoristes ou non. Parmi eux, Franco Volpi a brièvement évoqué une figure peu connue, celle de l’écrivain uruguayen, mais principalement francophone, Albert Caraco (1919-1971). Selon Volpi, le «pessimisme exaspérant» et «l’intransigeance (des) jugements» rapprocheraient Caraco et Dávila, cependant que la «foi lumineuse» du second l’opposerait à l’«amertume» du premier. Cette comparaison sans doute est fertile. On pourrait sans peine établir, au-delà des différences de psychologie, plusieurs oppositions entre les deux hommes, depuis certaines options philosophiques fondamentales, Dávila se réclamant d'un catholicisme que Caraco flétrissait avec la plus grande virulence, jusqu’à de plus légères questions de goût :  la nostalgie de Dávila, par exemple, est principalement tournée vers l’Occident médiéval, celle de Caraco vers la culture française des XVIIe et XVIIIe siècles. Sur de multiples points, cependant, le lecteur ne peut manquer de remarquer la coïncidence de vue entre Nicolas et Albert, parfois jusque dans les termes employés. Je présente ci-dessous quelques phrases comparables, touchant :

     - le petit-embourgeoisement : «la race des seigneurs est à jamais éteinte, noblesse enfin n’oblige plus personne, on est entre valets...» (Ma confession, Lausanne : L’Age d’Homme, 1975, p 125) et «Il n’y a plus de haute classe ni de peuple, il n’y a qu’une plèbe riche et une plèbe pauvre» (N.II.53).

     - les mérites de l’humanité : «La liberté la plupart des humains ne la méritent pas...» (Le semainier de l’agonie, L’Age d’Homme, 1985, p 287) et «Rares sont les pays qui ne méritent pas qu’un tyran les gouverne» (S.168).

     - la valeur de Jean-Paul Sartre : «Sartre... ses brouillons énormes et tous indigestes...» (Semainier de l’agonie, p 250) tandis que Dávila le range dans «le canon classique de mes impossibilités absolues» (E.I.174).

     - l’optimisme : «Quels sont les plus méchants des hommes ? ce sont les optimistes» (Semainier de l’agonie, p 247) et «Déprimant, comme un texte optimiste» (S.166).

     - la sexualité de l’âge mûr : «après quarante ans les rapports me paraissent assez ridicules» (Semainier de l’agonie, p 234) et «La chasteté, une fois la jeunesse passée, relève, plus que de l’éthique, du bon goût» (E.II.90).

     - les troupeaux humains : «où plusieurs douzaines se réunissent, l’esprit déménage» (Semainier de l’agonie, p 127) et «L’âme est une quantité qui décroît à mesure que plus d’individus se regroupent» (N.I.71).

     - l’utilité des révolutions : «la plupart des révolutions sont inutiles : les abus changent de camp au lieu de disparaître» (Semainier de l’agonie, p 43) et «Inutile, comme une révolution» (E.II.126).

     - les lettres classiques : «le mieux est de bourrer les jeunes gens de grec et de latin, de lettres et d’histoire, le reste n’acheminant qu’à la barbarie et ne leur dérouillant l’intelligence» (Semainier de l’agonie, p 32) et «Ne lire que du latin et du grec pendant quelque temps est la seule façon de se désinfecter l’âme» (N.II.115).

     - l’autre : «Sitôt que l’on est deux, la tricherie commence» (Semainier de l’agonie, p 26) et «Où il y a deux, il y a trahison» (E.II.260).

     - la surpopulation : «nous rendre heureux, cela requiert un général dépeuplement. Moins d’enfants, je vous prie, de moins en moins d’enfants, c’est le premier devoir» (Semainier de l’agonie, p 21 & 24) et «Dépeupler et reboiser : première mesure civilisatrice» (N.II.99).

     - le jardin : «Si l’on m’interrogeait sur la nature de mes préférences, je dirais humblement que je ne haïrais pas d’avoir une maison pourvue d’un jardin» (Semainier de l’an 1969, L’Age d’Homme, 2001, p 151) et «A part un beau jardin, tout est inférieur à nos rêves» (N.II.163).

     - le tourisme : «Hors les spectacles et l’amour, il n’est peut-être rien au monde que j’abomine plus que les voyages et doublement depuis qu’il est des voyageurs par millions, c’est l’invasion des Barbares, laquelle entraînera la profanation des sites et des monuments» (Semainier de 1969, p 143) et « Le barbare ne fait que détruire ; le touriste profane » (N.II.115).

     - l’ascension sociale : «monter ne prouve pas que l’on soit à sa place, une fois arrivé» (Semainier de l’agonie, p 21) et «Nous ne réprouvons pas le capitalisme parce qu’il suscite l’inégalité, mais parce qu’il favorise l’ascension de types humains inférieurs» (E.I.128).

     Bien d’autres pourraient s’y ajouter.

(Article de 2003)

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